9.3.10

De l'innocence perdue

Elle aura 14 ans dans 22 jours exactement. C'est le plein été. Elle ne fêtera pas son anniversaire avec ses camarades de classe, c'est le petit "problème" d'être née fin août, les copines sont en vacances. Au fond d'elle, ça n'a pas d'importance, des amies, elle n'en a pas vraiment. Des copines, oui, mais des amies, des vraies, de celles à qui l'on confie ses peines, ses joies, ses secrets... elle n'en a pas.

Elle ne part pas en vacances cette année... ses parents n'ont pas les moyens de lui offrir un séjour à la mer. C'est pas grave, avec sa copine d'immeuble, elle va à la piscine municipale 3 après-midis par semaine, le reste du temps elles font des balades en vélo dans la campagne environnante. Elle s'occupe, ne s'ennuie pas vraiment.

On est le mardi 4 août. Cet après-midi là, c'est piscine. Elle a donné rendez-vous à sa copine devant l'entrée de l'immeuble à 14 h. Elles se rendent à pieds à la piscine. Il y a du monde ce jour-là, des mères avec leurs enfants, des filles et des garçons qu'elles connaissent pour vivre dans le même quartier. Ce n'est pas qu'elles les apprécient franchement, mais dans l'eau ils s'amusent tous ensembles.

Ils l'attrapent, elle, sa copine et d'autres autour, les font couler, les relâchent. Ils s'amusent et rigolent innocemment ensembles.

Et puis, l'un d'eux la coince dans l'eau, l'empêche de se débattre. Elle ne comprend pas pourquoi il ne l'a fait pas "juste couler" pour la relâcher ensuite... Il est rejoint par un copain. Ils se lancent des regards complices, un sourire au coin des lèvres. Leur attitude, de loin ne dépareille pas de ce qu'elle était quelques instants plutôt. Elle, tente de s'échapper, de se débattre, elle crie mais personne ne fait attention à elle. Il faut dire qu'ils sont des dizaines à rire, crier, s'agiter dans le bassin. Et puis surtout, ils la menacent de lui faire mal si elle ne se tait pas. Ils la touchent, la caressent, passent leurs mains sous son maillot, de plus en plus profondément... Et Elle, elle pleure impuissante.

Quand enfin ils la libèrent, elle s'enfuie aux vestiaires, se rhabille sans prendre le temps de se sécher, s'échappe de là. Abandonnant sa copine, son bonheur infantile, son innocence... Elle court jusque chez elle mais un des garçons la rattrape en bas de l'immeuble, l'oblige à entrer avec lui dans un local "poubelles". Les attouchements à la piscine ne lui ont pas suffit, il veut qu'elle l'embrasse. Elle refuse. Elle a peur, elle voudrait lui faire mal mais il est costaud, beaucoup plus qu'elle. Il commence à lui défaire son jean, elle panique alors elle accepte de l'embrasser... A cet instant, elle lui mord la langue, lui met un coup de pieds et enfin elle parvient à s'enfuir.

Elle arrive à rentrer chez elle, ses parents ne sont pas là, ils travaillent. Elle s'enferme dans sa chambre, tremble, suffoque, elle voudrait oublier ce qu'il vient de ce passer.

(...)

Octobre 1997, la jeune fille a 24 ans depuis 2 mois...

Elle n'a jamais parlé de ce qu'il s'est passé ce mardi 4 août 1987 à la piscine municipale, tant elle avait la honte et la haine d'elle-même pour n'avoir pas su se défendre, s'échapper, faire face à cela...

Ni ses parents, ni son conjoint ne le savent...

En ce jour de 1997, elle raconte cela telle une anecdote, d'un air détaché et arrogant, à un psy qu'elle rencontre "par obligation" après avoir voulu finir sa vie plutôt que prévu, jusqu'à ce que ce médecin lui demande si elle comprenait que ce qu'elle avait vécu s'appelle un viol.

La jeune fille s'est alors relevée, tout doucement, assimilant petit à petit que ce qu'elle avait subi était un crime, et qu'elle avait été... qu'elle était la victime.

23 ans plus tard, elle n'a rien oublié de ce jour d'été 1987, ni les lieux, ni les odeurs, pas même la lumière... et encore moins son nom à lui... Elle a appris à vivre avec, à supporter que ces images lui reviennent sournoisement, que la douleur se rappelle à elle, comme ce soir...

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